"La finance et la RSE sont deux mondes parallèles qui ne se comprennent pas" (atelier BSR)

Par Sabrina Dourlens. Diffusion avec l'aimable autorisation d'AEF.

"Bien souvent, la finance ne connaît pas la RSE, ce sont deux mondes parallèles, qui ne se comprennent pas et ne parle pas le même langage", témoigne Emmanuelle Cordano, responsable du reporting RSE de Sanofi. Elle était l’une des participantes invitée à l’atelier "Valoriser une démarche RSE auprès des investisseurs", organisé par BSR jeudi 4 octobre 2018, au cours duquel plusieurs acteurs issus de la finance ou de l’entreprise ont fait part de leur expérience. 

"L’ISR est passé du marché de niche à un marché conventionnel, cette tendance se confirme depuis deux ans. Il concerne environ 25 % des actifs sous gestion au niveau mondial, 50 % au niveau européen", rapporte Charlotte Bancilhon, manager chez BSR, lors de l’atelier du 4 octobre. "Les investisseurs mainstream s’intéressent aux enjeux ESG, ils sont en quête d’informations sur les impacts. Par ailleurs, l’engagement actionnarial prend de l’ampleur."

"MANQUE FLAGRANT DE COLLABORATION"

Pour l'experte, "d’un côté, les entreprises font face à une multiplication des requêtes et standards de reporting ESG, et 60 % d’entre elles s’estiment confiantes par rapport aux données fournies. D’un autre côté, 92 % des investisseurs indiquent ne pas être satisfaits de la communication ESG des entreprises. Il y a donc un énorme fossé de perception". "Enfin, on observe un manque flagrant de collaboration entre les équipes de la RSE et de la relation investisseurs."

Emmanuelle Cordano, responsable du reporting et de l’innovation au sein de département RSE de Sanofi, et qui était auparavant responsable des normes comptables dans l’entreprise, connaît bien le monde financier. "Avant de prendre mon poste à la RSE, je n’avais pas conscience de ce sujet. Bien souvent, la finance ne connait pas la RSE, ce sont deux mondes parallèles. Il est compliqué pour les investisseurs mainstream (généralistes) de comprendre le monde de la RSE, qui présente une absence de normalisation, de comparabilité et des données qui leur paraissent peu fiables", confie-t-elle. 

"De plus, souvent ils ne parlent pas de la même chose, le vocabulaire est trop différent. Il y a un besoin de communication et de formation sur ces sujets. Par ailleurs, le monde de l’information extrafinancière évolue très rapidement alors que le monde du reporting financier est habitué à travailler sur les mêmes normes pendant des années", poursuit-elle. 

ATTIRER DES INVESTISSEURS DE LONG TERME

Pour Jean-Philippe Desmartin, chef de l’investissement responsable à Edmond de Rothschild Asset Management, "le monde de la RSE doit aussi faire l’effort de comprendre le monde financier, ses contraintes et son mode de fonctionnement". "L’intégration des critères ESG nous aide à prendre des décisions. Ainsi, je suis toujours en contact avec mes collègues de l’investissement mainstream mais aussi avec les entreprises." 

"Auparavant, en termes de sujet RSE, le capital-investissement ne regardait que la pollution des sols, la patate chaude, qui pouvait coûter gros… Aujourd’hui, il prend systématiquement en compte le devoir de vigilance, le reporting de durabilité, etc. Le niveau de RSE d’une entreprise est valorisé lors de le revente", remarque-t-il.

L’expert de Rothschild Asset Management recommande aux entreprises "d’attirer des investisseurs de long terme, stables, qui viendront à leur rencontre régulièrement". "Lorsqu’au moins 30 % des investisseurs font une demande sur un sujet, cela fait bouger les choses. Toutes n’ont pas cette chance quand on sait que pour les entreprises cotées en bourse, un fonds reste en moyenne six mois, et que le long terme représente une année au plus. Les entreprises ont également un intérêt à émettre des obligations vertes, ce qui permet d’élargir le champ des investisseurs qui prennent de la dette."

ÊTRE PLUS PROACTIFS ENVERS LES INVESTISSEURS

Christophe Piednoël, directeur RSE du groupe de gestion de l’eau Saur, raconte que sur la vingtaine d’investisseurs candidats pour entrer au capital de l’entreprise, très peu s’intéressaient à la RSE. "Il faut faire un travail de conviction et d’éducation pour que les investisseurs regardent aussi le volet opportunité. Finalement, c’est le suédois EQT qui est entré au capital. Il nous demande de présenter un plan RSE en janvier. C’est intéressant d’avoir des investisseurs moteurs de la RSE", se félicite-t-il

Ces investisseurs sont très demandeurs d’informations. "Ils nous appellent pour poser des questions pointues. Il faut réfléchir à la manière d’être plus proactifs que réactifs. Chez Sanofi, nous pensons proposer aux investisseurs une journée sur un thème choisi", témoigne Emmanuelle Cordano. Il note également que "les investisseurs regardent beaucoup les classements. Nous devons remplir de nombreux questionnaires, comme le DJSI qui mobilise 50 collaborateurs sur deux mois. Mais nous considérons que cela permet d’impliquer les équipes en interne".

Selon elle, le grand enjeu réside dans la collaboration des équipes financière et RSE sur le document intégré, "exercice très différent de la déclaration de performance". "Il faut s’interroger sur la manière d’inclure le reporting intégré dans le document de référence, comme le préconise l’AMF (AEF info). Je pense que l’outil de la matérialité est amené à disparaître et que le reporting extrafinancier se composera de deux parties : les risques des activités pour l’entreprise et les impacts externes dans une perspective plus globale via les ODD."

"L’IMPACT EST LE SUJET DES PROCHAINES ANNÉES"

La spécialiste appelle à "réfléchir à des indicateurs qualitatifs pour mesurer l’impact". "C’est difficile, il va falloir travailler avec des chercheurs. Et même si l’on trouve, je ne suis pas sûre que cela sera comparable d’une société à l’autre."

"L’impact est le sujet des prochaines années", confirme Jean-Philippe Desmartin. "Au XIXe siècle, les investisseurs ont appris à mesurer la performance financière, au XXe siècle, les risques pour eux, et au XXIe siècle, la mesure de l’impact, que ce soit un risque ou une opportunité". L’impact peut prendre plusieurs formes. On peut faire une analyse par activité, produits, services, ou ODD. "Cette façon de faire du reporting va parler de manière plus claire à tous types d’acteurs", estime-t-il.