Par Sabrina Dourlens. Diffusion avec l'aimable autorisation d'AEF.
"Le scénario le plus apocalyptique mais plausible, dans lequel aucun accord n’était trouvé sur le climat, était un vrai défi, mais de manière surprenante, nous avons trouvé des opportunités même dans ce scénario", témoigne Alina Cazacu, directrice inclusive business Sodexo. Invitée de l’atelier BSR du 2 juillet 2019 intitulé "Comment construire l’analyse de matérialité du futur ?", elle raconte comment le groupe a mené avec BSR une analyse prospective, lui permettant de réfléchir à ses risques et opportunités dans différents scénarios de futurs possibles.
BSR a lancé l'année dernière un laboratoire d'idée intitulé Sustainable Futures Lab. Il accompagne les entreprises pour déployer des méthodes prospectives qui permettent d’appréhender l’avenir. Construite autour de scénarios et de "futures-thinking", l’approche permet d'aider les entreprises à détecter les problèmes émergents à un stade précoce, à explorer différents futurs possibles et à développer des stratégies plus résilientes et durables. L’association d’entreprises organisait le 2 juillet un atelier pour se pencher sur la question de la matérialité du futur.
Inclure des parties prenantes
"La matérialité est un outil puissant pour que les entreprises puissent identifier leurs priorités, leur influence et impact sur leur propre business et sur leurs parties prenantes", juge Charlotte Bancilhon, directrice adjointe chez BSR. "Pilier pour définir une stratégie, l’analyse de matérialité doit se faire avec toutes les parties prenantes internes et externes. Pourtant l’analyse de materialité reste souvent un outil utilisé au sein des équipes RSE mais peu compris ni reconnu par les autres fonctions", remarque-t-elle.
BSR propose quatre façons de mieux valoriser l’analyse de matérialité au sein de l’entreprise : aligner l’analyse de matérialité avec celle de la gestion des risques; faire une cartographie par pays afin d’identifier des enjeux locaux et que les acteurs s’en emparent; utiliser des outils de big data pour scanner les conversations sur les réseaux sociaux et détecter les parties prenantes intéressées et sur quel thème; et utiliser des méthodologies prospectives pour développer tous les scénarios plausibles.
L'exemple de Sodexo
C’est l’exercice auquel s’est essayé Sodexo. L’entreprise a mené une analyse prospective avec BSR, dont le processus vient de se terminer. Il y a d’abord eu une phase de recherche pour identifier les facteurs moteurs du futur, puis ils ont été classés en fonction de leur impact et plausibilité. Ensuite des ateliers ont été organisés avec des représentants de plusieurs départements, pays et même de la direction pour travailler les différents scénarios.
"Nous avons été surpris par le niveau d’engagement. L’équipe s’est montrée très motivée pour travailler sur une vision holistique du futur. Et c’était l’occasion d’impliquer tous les départements", rapporte Alina Cazacu, directrice inclusive business du groupe Sodexo, qui travaille avec 460 000 collaborateurs, dans 72 pays.
"L’année dernière nous avons renouvelé notre programme stratégique 'Better tomorrow 2025', dans lequel la RSE a été inscrite comme l'un des quatre piliers. Notre dernière analyse de matérialité datait de 2014. Nous devions donc vérifier si notre stratégie 2025 était toujours pertinente. Nous avons besoin de cerner précisément les risques et de savoir comment les anticiper, nous avons donc testé plusieurs scénarios", raconte-t-elle. "Nous avons choisi seulement quelques facteurs comme l’impact de l’intelligence artificielle ou du changement climatique sur les chaînes d’approvisionnement pour examiner différents scénarios. Dans chacun d’entre eux, les risques et leurs déclencheurs n’étaient pas les mêmes."
"Cela nous oblige à nous poser des questions"
"Il y a d’infinies possibilités de futurs", pointe Jacob Park, directeur de Sustainable Futures Lab à BSR. "Rien n’est prédictible, il faut donc regarder toutes les possibilités pour éviter une mauvaise surprise. Il faut aussi éviter de tomber dans le travers qui est de penser à un futur similaire à aujourd’hui mais seulement un peu différent, il faut oser aller plus loin et élargir l’esprit avec des changements majeurs. Il y a dix ans, General Motors n’aurait jamais imaginé qu’Uber changerait la mobilité, et pourtant…"
"Le scénario le plus apocalyptique mais plausible, dans lequel aucun accord n’était trouvé sur le climat, était un vrai défi mais de manière surprenante, nous avons trouvé des opportunités même dans ce scénario", souligne Alina Cazacu. "Cela permet aussi d’avoir une perspective différente sur le climat présenté cette fois comme une problématique et non sous l’angle de la culpabilité."
Le groupe a aussi travaillé sur un scénario de rareté des ressources et de nationalisation des principales industries. "C’est un exercice intéressant car cela nous oblige à nous poser des questions que l’on ne se pose jamais et de trouver les risques et opportunités pour chaque cas de figure. Par exemple, certaines questions qui n’étaient pas forcément identifiées comme pertinentes, comme l’approvisionnement local, prennent de l’importance dans un scénario sur l’instabilité politique. Cela nous a permis d’identifier des nouveaux leviers et a confirmé que notre stratégie était toujours pertinente", conclut-elle.